Article modifié le 15 juillet 2020
Avec Fenty Beauty by Rihanna, la chanteuse barbadienne est devenu un nom incontournable dans l’univers de la cosmétique internationale et dans ma salle de bain. À cause de Rihanna, je me rends, tous les deux à trois mois, dans un lieu que j’avais promis de ne plus jamais fréquenter : l’enfer olfactif sur terre, le lieu d’une errance où l’on tente d’échapper au gardien des Enfers vêtu de son costume noir, le lieu de l’échec total dans la quête d’une couleur de fond de teint respectant les carnations au-dessus de « beige doré »… j’ai nommé Sephora !
Comme pour toute navy qui se respecte et pour toute personne s’intéressant un peu à la mode et à la beauté, Rihanna est un mètre-étalon dans ces domaines. C’est pourquoi, il était impossible d’échapper à l’appel de Fenty Beauty et nécessaire de se déplacer jusqu’à ce lieu infernal pour faire les bons choix. Il est inutile de présenter Robyn Rihanna Fenty. D’ailleurs, si vous me demandez qui est cette déesse, je vous répondrai comme Eartha Kitt, qu’on interrogeait sur les concessions qu’elle pourrait faire pour un homme :
Qu’est-ce que Fenty Beauty ?
D’abord un petit retour chronologique : en 2014, Roraj Trade LLC, l’entreprise qui gère les droits d’auteur et de propriété intellectuelle de Rihanna, dépose plusieurs marques dont « Fenty Beauty » ; en avril 2016, LVMH annonce le partenariat conclu avec l’artiste pour la création d’une marque de cosmétiques ; le 8 septembre 2017, la première collection est disponible en ligne et dans les magasins Sephora (groupe LVMH). Le lancement s’effectue, le même jour, dans dix-sept pays. Le processus de développement de la marque, avant son lancement, aura duré deux ans.
Malgré les annonces du groupe de luxe, le flou règne encore en ce qui concerne le rôle de Rihanna dans Fenty Beauty. Rappelons simplement que la compagnie n’appartient pas à la chanteuse. Si on constate sur les sites du groupe LVMH qu’elle est souvent nommée « fondatrice » de la marque, en lisant avec attention, on remarque que le PDG de Fenty Beauty, David Suliteanu, est le même que celui de Kendo, l’incubateur de marques de cosmétique du groupe de luxe… Pour résumer grossièrement, Fenty Beauty appartient au groupe de Bernard Arnault. LVMH refuse de divulguer quelle est la participation de Rihanna mais, sans connaître les chiffres exactes, on sait que la part de la maison Arnault est importante.
Revenons à Kendo, le fameux incubateur de marques. L’entreprise est née en 2008 sous le nom de Sephora Originals, pour produire et développer des marques en nom propre. À partir de 2010, elle fonctionne indépendamment et prend le nom que nous luis connaissons aujourd’hui. C’est en 2014 qu’elle rejoint la branche « Parfums et cosmétique » du groupe LVMH. La première marque lancée par Kendo est celle de la tatoueuse et figure de télé-réalité Kat Von D, en 2008 ; puis vient, en 2011, l’acquisition de la marque Ole Henriksen et en 2013, le lancement de Marc Jacobs Beauty. L’incubateur crée des marques en partenariat avec des célébrités provenant de l’univers de la mode ou du divertissement mais acquiert aussi certaines marques pour les développer globalement et en faire des « leaders mondiaux » d’après Sylvie Rouaix, vice-présidente en charge du développement produit. C’est donc dans cet esprit qu’est lancée Fenty Beauty fin 2017.
En quoi la stratégie de la marque est-elle pertinente ?
Rihanna a été la première égérie noire de LVMH grâce à sa collaboration avec Dior. Le groupe a conscience de l’impact de la jeune femme dans le monde de la mode et de son statut d’icône de la beauté auprès d’un public au fort pouvoir d’achat (les jeunes filles). Son entrée dans cet univers s’était réalisée de manière fracassante avec MAC (groupe Estée Lauder) et la sortie de « Riri Woo», une variante plus intense du produit phare de la marque, le « Ruby Woo », en édition limitée. Ce rouge à lèvres avait été vendu en quelques heures. De même, ses collaborations depuis 2014 avec Puma (groupe Kering jusqu’en 2018) ont rencontré un immense succès. On mesure donc que LVMH n’a pas pris de gros risques avec une personnalité comme Rihanna. De plus, sa liberté de ton, la proximité avec son public et son authenticité s’accordent avec l’esprit « jeune » que le groupe de luxe veut insuffler à ses marques et, encore une fois, le pouvoir d’achat de ce groupe démographique est fort. D’autre part, les parfums et la cosmétique sont le secteur sur lequel LVMH est en croissance constante grâce, notamment, aux marques développées par Kendo. 💵💵💵
Les incubateurs de marques comme Kendo restent très discrets pour mieux vendre l’image et le récit créé autour de la célébrité avec laquelle ils travaillent. Cela permet de donner un aspect plus authentique car c’est ce que recherchent les fameux millenials et leurs successeurs de la génération Z (🙄). En échange de cette « sincérité », ces générations font preuve d’une forte loyauté envers les marques. On peut se demander si ce désir d’authenticité vient de la consommation de télé-réalité ou du développement des blogs et autres posts Instagram qui nous donnent l’impression de tout savoir sur l’intimité des célébrités…. En revanche, lorsque cette génération se sent trahie, des vagues de cancellation apparaissent sur les réseaux sociaux, à la mesure de la confiance donnée. L’image de la marque est donc fortement liée avec celle de la célébrité.
C’est pour cette raison qu’il a fallu près d’une année avant de découvrir que derrière les produits Kylie Cosmetics, (principal concurrent de Fenty Beauty sur ce marché) il y avait Seed Beauty, les créateurs de Colour Pop, une marque devenue célèbre grâce aux « influenceurs et influenceuses » du web. LVMH joue le même jeu avec Rihanna, ou du moins joue sur l’ambiguïté que crée ce genre de partenariats, en rappelant sans cesse l’implication de la star en tant que fondatrice… ce qui conduit certains et certaines à penser qu’ils ou elles achètent un produit créé par une black-owned company (ambiguïté sur laquelle joue également Black Up). Une stratégie valable essentiellement sur le marché américain et qui semble, pour le consommateur ou la consommatrice, en accord avec les revendications de Rihanna.

Cette stratégie d’effacement est mise en œuvre pour la plupart des marques créées ces dernières année par des célébrités (Instagram et Youtube) comme Kylie Cosmetics donc, mais aussi Huda Beauty ou Farsáli. Le fondateur ou la fondatrice est la principale image de la marque, il ou elle porte la charge de la communication digitale de sa marque par sa présence sur les réseaux sociaux et les interactions avec les personnes abonnées. L’idée pour ces personnalités est de faire fructifier leur célébrité en optant pour un secteur porteur comme l’industrie de la beauté, qui représente aujourd’hui 532 milliards de dollars… Les marques traditionnelles comme L’Oréal ou Estée Lauder peinent à s’inscrire dans ce nouveau marché qui vise principalement la jeunesse (même si les maisons-mères investissent dans ces nouvelles marques à tour de bras et multiplient les partenariats avec des célébrités du web).
Pour Fenty Beauty, la stratégie et la mythologie choisies par Kendo est celle de l’inclusion. Ce qui explique le lancement de la marque avec un produit comme le fond de teint. En effet, on attendait plutôt Rihanna sur des rouges à lèvres (comme lors de sa collaboration avec MAC et au vu des looks qu’elle nous avait offerts auparavant) et beaucoup, moi la première, ont été circonspects face à ce choix. Or, en débutant avec QUARANTE nuances de fond de teint, la mise en exergue de la diversité et de l’inclusion était plus évidente, d’autant plus que c’est un point sur lequel beaucoup de ses concurrents pèchent. La vidéo de promotion de la marque, dans laquelle on retrouve les mannequins Slick Woods et Duckie Thot, illustre le projet derrière Fenty Beauty. D’ailleurs, on retrouve la déclinaison de cette narration dans la ligne de lingerie Savage x Fenty et dans les collaborations avec Puma (dans lesquelles on retrouve d’ailleurs les mêmes mannequins) ce qui permet de conforter la stratégie de l’inclusion en tant qu’identité de Rihanna donc de ses marques.
Autre stratégie de la marque : ne pas cibler uniquement les peaux noires comme l’avaient déjà fait Black Up, Iman Cosmetics ou encore Black Opal et le vétéran Fashion Fair. Si les femmes noires sont valorisées par la marque, celle-ci ne mise pas uniquement sur ce groupe, comme le montre la palette de couleurs des fonds de teint proposés. Le choix de ce produit permet justement de prouver que Fenty Beauty offre des produits pensés pour tous et toutes. Il en va de même pour les prix de ces produits qui sont (relativement) plus accessibles que ceux des autres marques ayant développé une offre plus large de nuances de fonds de teint : une trentaine d’euros pour les produits Fenty contre une cinquantaine d’euros pour Make Up Forever, NARS, Lancôme ou Estée Lauder.
Dans un contexte où le racisme et le colorisme sont de de plus en plus fortement dénoncés dans le milieu de la beauté, Fenty Beauty est tombé à pic. Seulement deux semaines avant le lancement de la marque de Rihanna, L’Oréal venait de se séparer de Munroe Bergdorf, qui participait à la campagne du dernier fond de teint de la marque « True Match», car la jeune femme avait dénoncé le racisme systémique. Entre ce mini scandale et l’arrivée de Rihanna sur le marché de la cosmétique, les efforts de L’Oréal pour promouvoir son offre sont passés inaperçus. La promotion de Fenty Beauty a été reçue comme plus authentique et échappant au piège du tokenism. Peut-être qu’en étant elle-même une femme noire, elle a su comprendre comment l’éviter et peut-être que c’est la raison pour laquelle LVMH ne se met pas trop en avant évitant ainsi de faire passer cet intérêt soudain pour les peaux noires pour une simple stratégie marketing… Cependant, si la diversité est au coeur du projet Fenty, on peut regretter qu’elle reste celle des standards de beauté féminine socialement acceptés et largement diffusés.
Le point fort de Fenty Beauty a donc été de naître avec quarante nuances de « couleur chaire », et, moins de deux ans après, d’ajouter à son offre dix nuances de fond de teint et cinquante nuances de correcteurs, là où d’autres marques, existant depuis de nombreuses années, se sont contentées d’une vingtaine ou d’une trentaine de teintes. Mais, l’atout important de la marque reste la synergie du groupe LVMH. En effet, celle-ci s’intègre à un réseau qui permet de suivre le produit du début à la fin et de le faire progresser. Ainsi, Kendo peut s’appuyer sur les données de vente de Sephora, pour adopter ou adapter une stratégie de développement autour du fondateur ou de la fondatrice tout en gérant le site et la vente en ligne et enfin les boutiques Sephora mettent en avant les produits et offrent toute la gamme de teintes proposées contrairement aux autres marques qui ne vendent certaines teintes que dans certaines boutiques.
Quel est l’impact de la marque ?
Fenty Beauty a fait sortir les teintes de peau noire du marché de niche dans lequel elles avaient été enfermées sans abandonner la représentativité, à l’inverse de Shea Moisture qui avait lancé la campagne #BreakTheWall (pour combattre la division entre produits pour certains groupes démographiques dans les allées des supermarchés) en mettant en avant principalement des personnes blanches, avant d’être rappelée à l’ordre par leurs premières consommatrices… Avec la marque de Rihanna, l’argent des femmes noires est enfin estimé et le choix des teintes est devenu, aujourd’hui, une unité pour mesurer la qualité et l’implication des marques.
Jusqu’à présent le racisme et le colorisme étaient si importants dans l’univers de la beauté que les marques préféraient renoncer à un marché où les femmes peuvent dépenser jusqu’à NEUF fois plus que les femmes blanches, plutôt que de leur proposer des produits adéquats. Les marques de soin du cheveu, par exemple, ont commencé à le comprendre il y a seulement quelques années, au plus fort du retour au naturel des femmes noires. L’arrivée de Rihanna a imposé ces réflexions au cœur de l’univers de la beauté. L’engouement autour du lancement de ces quarante teintes a conduit de nombreuses marques à publier dans les heures ou jours suivants des campagnes de publicité ou des photos de swatch prouvant leurs effort d’inclusion… mais l’effet Barbra Streisand a été net.
Depuis, de nombreuses marques mettent en avant des égéries noires : Naomi Campbell a signé son premier contrat d’égérie avec NARS en décembre 2018 (c’est la première fois qu’elle est le visage d’une marque de maquillage alors qu’elle travaille depuis une trentaine d’années !) ; Lancôme vient de signer l’actrice et chanteuse (?) Zendaya, après la signature d’un partenariat avec Lupita Nyong’o en 2015, ce qui permet aussi à la maison française (groupe L’Oréal) d’attirer la génération Z ; depuis 2018 Too Faced collabore avec la youtubeuse beauté noire la plus importante, Jackie Aina, pour son fond de teint « Born This Way».
(sources des photos : grazia.com.au et allure.com)
Le succès financier de Fenty Beauty (500 millions de dollars de ventes générés en une année a annoncé LVMH) renforce la confiance du groupe pour continuer à investir dans la marque «Rihanna» d’autant plus qu’au bout de seulement un mois, son EMV (Earned Media Value qui mesure la valeur d’une marque sur les réseaux sociaux ) était de 72 millions de dollars. Cet indice est important car d’après le magazine Forbes, aujourd’hui, 72% des décisions d’achats prises par les millennials (américains) dans les secteurs de la beauté et de la mode est influencé par Instagram ! Avec l’annonce de la création d’une maison de luxe autour de Rihanna, LVMH investit de manière pragmatique pour accroître ses résultats. Grâce au site WWD, on a appris, en janvier, que Rihanna et le groupe français étaient en discussion pour la création de cette marque mais ce dernier ne confirme rien… Le même mois, la chanteuse et entrepreneuse a été aperçue avec une paire de lunettes (moche) signée Fenty, ce qui a relancé les hypothèses.
Quoiqu’il en soit, en décembre 2018, LVMH a créé une société qui pourrait être le « cocon » de la future marque de luxe de Rihanna. Elle est inscrite sous le nom de « Project Loud » (comme Loud, le cinquième album de Rihanna… celui où elle a les cheveux rouges 🔍) et le groupe français y a déjà injecté 60 millions de dollars comme l’annonce le site fashionnetwork.com. Le site précise aussi que de nombreuses personnes, travaillant pour les autres marques de luxe du groupe, sont à présent employées sur ce projet. Si cela se révèle être vrai, ce serait la première fois, depuis Christian Lacroix en 1987, que le groupe LVMH créerait une maison de luxe sans passer par une acquisition.
Addenda : Le 27 février 2019, le site du Guardian confirme, à l’aide des informations de businessoffashion.com la création de Project Loud France dont Rihanna détiendra 49,99% des parts (et LVMH le reste). D’ailleurs le quotidien britannique propose, peu ou prou, le même argumentaire que taanu.fr pour expliquer l’intérêt qu’a la Maison de luxe à collaborer avec Rihanna… On fait le job, et on le fait sérieusement camarades !
5 produits emblématiques de la marque
- Le fond de teint «Pro Filt’r » et ses désormais 50 teintes : le succès des teintes les plus foncées et de la teinte la plus claire, souvent en rupture de stock, illustre le manque que comble Fenty Beauty. D’ailleurs, il a été élu parmi les vingt-cinq meilleures inventions de 2017 par le magazine Time : « I never could have anticipated the emotional connection that women are having with the products and the brand as a whole […] some are finding their shade of foundation for the first time, getting emotional at the counter. That’s something I will never get over » y déclare Rihanna.
- « Stunna Lip Paint » : un rouge à lèvres liquide, le premier à avoir été lancé par la marque. Le produit que beaucoup attendait et le choix de la couleur rouge est un message à toutes les critiques envers les femmes noires aux lèvres pulpeuses qui « osent » porter cette couleur (oui, oui, certaines personnes pensent que les femmes noires ne devraient pas porter du rouge sur leurs lèvres). Ce rouge est universel grâce à l’équilibre de ses sous-tons.
- Le «gloss bomb Fenty glow» pour son aspect universel également. On voit dans la vidéo de promotion qu’il est porté par différentes carnations de peau tout en sublimant toutes les couleurs. Il répond exactement au projet de Rihanna et c’est la raison pour laquelle il a été parmi les premiers produits lancés.
- L’highliter « Killawatt » dans la couleur « Trophy Wife » : il illustre à merveille la personnalité unapologetic de Rihanna et c’est de l’or ! C’est l’une des meilleures ventes sur le site.
- Les « Stunna Boss Nudes» : encore une fois, Rihanna propose un produit que tout le monde attend et que tout le monde exige des autres marques ! Un rouge à lèvre couleur chair qui a compris qu’il n’y a pas qu’une seule couleur de chair.
Wishlist Fenty
Fenty album (sorry Robyn!) : si les rumeurs sont vraies, c’est-à-dire Rihanna + Reggae… Je vais saucer cet album comme jamais et personne ne pourra rien dire !
Fenty Skincare : l’hydratation des couches supérieures de l’épiderme est un droit humain fondamental. ✔︎
Fenty Hair : le combat ordinaire.
Une ou deux autres teintes de Pro Filt’R : pour arrêter les bricolages sur mon visage dont le teint manque vraiment d’uniformité (je crois avoir environ 3 teintes différentes sur ma face). Et on va ajouter le correcteur parce que se lever pour aller travailler c’est dur. ✔︎
Avoir le courage d’essayer Trophy Wife… parce que c’est de l’or et qu’on ne risque pas de mourir comme le personnage joué par Shirley Eaton dans Goldfinger.
[…] cette synergie et pour que les nouvelles consommatrices plus jeunes et plus exigeantes (voir l’article sur Fenty Beauty) continuent à respecter cette marque, serait d’employer des stylistes africains ou […]
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[…] offre, depuis le lancement de la collaboration entre Miss Fenty et Tech Style Fashion Group (qui fonctionne un peu comme Kendo et possède aussi Fabletics, la marque de pantalons de yoga « glamour » de […]
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